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dimanche 14 avril 2013

Vie intellectuelle et littéraire en Ukraine au siècle des Lumières

"Вони питають чи єсть у нас культура... Тут ходив Сковорода."
 
Notes - Lectures - Divers

Tatiana Sirotchouk "La Vie intellectuelle et littéraire en Ukraine au siècle des Lumières"
Honoré Champion Éditeur, Paris, 2010

L'auteure est chargée de cours à l'INALCO


Vladislav Rjéoutski à propos du livre de Tatiana Sirotchouk :

L’ouvrage de Tatiana Sirotchouk explore les manifestations des Lumières dans une des parties périphériques de l’Europe, en Ukraine. Il est superflu de souligner l’importance du sujet choisi. Il y a trois grandes parties dans cet ouvrage. La première traite du contexte politique et culturel de l’Ukraine au XVIIIe siècle (ch. 1), du rôle et de la personnalité des hetmans Mazepa et Razoumovski et des études des Ukrainiens dans les universités européennes (ch. 2) ; enfin de la notion de « despote » et de « despote éclairé » et de l’opposition au despotisme en Ukraine (ch. 3). La deuxième partie est consacrée à l’Académie de Kiev (ch. 1), aux Ukrainiens dans différents domaines tels que la traduction, la littérature, les sciences, etc. (ch. 2) et à la « Cause ukrainienne à la portée de l’Europe » où l’auteure analyse notamment l’image de l’Ukraine dans l’œuvre de Voltaire (ch. 3). Enfin, la dernière partie est entièrement consacrée à une grande figure des Lumières ukrainiennes, le philosophe Grégoire Skovoroda.

Le nombre de figures importantes dans la culture ukrainienne du siècle des Lumières, les relations très étroites qu’elles entretenaient avec la culture russe dont elles devenaient souvent des acteurs majeurs, le besoin de prendre en compte le contexte russe sans pour autant faire une histoire des Lumières en Russie, tout cela ne facilitait pas la tâche de l’auteure. J’essaierai de montrer, sur quelques exemples, la méthode, les sources utilisées par Tatiana Sirotchouk, les problèmes et les questions qu’elle soulève. J’ai adopté pour les personnes ayant travaillé et vécu en Russie la forme des noms la plus utilisée dans les études slaves en France.
 
L’auteure brosse plusieurs portraits. Si la partie consacrée à Skovoroda s’étend sur plus de cent pages, celle traitant de l’hetman Mazepa, sur une vingtaine de pages (mais il est question de Mazepa aussi dans d’autres parties du livre), celle où il est question de l’hetman Razoumovski occupe une trentaine de pages. Il y a aussi des parties explorant une question particulière : celle du reflet de l’histoire ukrainienne dans l’œuvre de Voltaire est traitée dans une cinquantaine de pages. Du point de vue de la structure, on pourrait se demander si le titre de l’ouvrage reflète bien son contenu : l’intérêt de l’image de l’Ukraine dans l’œuvre de Voltaire est incontestable, mais cette question a-t-elle toute sa place dans un livre sur la « vie intellectuelle et littéraire en Ukraine » ? Il est possible que son inclusion s’explique par le rôle de relais d’information entre l’Ukraine et Voltaire qu’ont joué certains Ukrainiens (les membres de la famille Orlyk d’abord et surtout).


Dans le chapitre consacré aux Ukrainiens dans les universités européennes, l’auteure montre que, bien avant le XVIIIe siècle, les Ukrainiens partaient étudier dans différentes universités de l’Europe. Elle explique leur choix par l’impossibilité d’étudier dans les universités polonaises fermées aux Ukrainiens après le traité de Pereiaslav de 1654. L’auteure s’appuie beaucoup sur les travaux de Lossky sur la pérégrination académique ukrainienne, mais utilise aussi quelques données d’archives. L’exposé est présenté comme une série de portraits d’Ukrainiens ayant fait leurs études à Leipzig, Göttingen, Königsberg, etc. Il peut être complété par le chapitre « Les oiseaux migrateurs » qui donne un aperçu de l’activité des médecins ukrainiens en Russie, la majeure partie desquels ont fait leurs études dans les universités européennes. À la lecture de ce chapitre, on peut comprendre qu’en Ukraine la pérégrination académique n’a pas touché seulement la noblesse, il aurait été souhaitable de fournir quelques données plus précises sur ce sujet. Est-ce que les études des Ukrainiens étaient des initiatives privées ou y avait-il des envois d’étudiants organisés par les autorités ? L’auteure mentionne l’envoi d’étudiants de l’Académie de Kiev à l’université de Halle, s’agit-il d’une pratique courante ou exceptionnelle ? La comparaison avec la Russie est essentielle, mais s’arrête à une remarque : les études dans les universités occidentales deviennent à la mode parmi les aristocrates russes. Le livre majeur d’Andreev sur les étudiants russes dans les universités allemandes (А.Ю.Андреев, Русские студенты в немецких университетах XVIII — первой половины XIX века. М., 2005) aurait été utile pour la préparation de ce chapitre d’autant plus qu’Andreev parle de plusieurs Ukrainiens dans les universités allemandes. (...)
 
L’ouvrage aurait gagné en qualité si l’auteure avait utilisé quelques études importantes, on pense aux classiques tels que David Saunders, The Ukranian Impact on Russian Culture, 1750-1850 (1985) ou le Dictionnaire des écrivains russes du XVIIIe siècle (Словарь русских писателей 18 века, 1988, 1999 et 2010). En dehors du contenu scientifique, on peut reprocher des expressions inélégantes ou incorrectes. L’auteure en porte la responsabilité, mais cela soulève aussi la question du travail éditorial, qui s’est réduit, semble-t-il, à un toilettage superficiel. Quelques exemples : « des remarques affirment », « une révélation confirme » (p. 86) ; « travailler les informations » (p. 126) ; « il avait presque cédé de parler russe » (p. 206, « cessé ») ; « L. Sitchkarov, F. Ianovsky […] se voient enseignants dans cette école » (p. 210) ; « dans de telles occurrences l’élite cosaque continue […] » (p. 210, circonstances ?) ; « il avance sa propre persuasion que le peuple peut être bon » (p. 227, opinion ?) ; [il] « excellait particulièrement à mépriser son précepteur » (p. 302) ; « une philosophie semblable à maintes reprises » (p. 314) ; « par ses mots […] il voit en La Fontaine un homme des Lumières » (p. 382) ; ou encore : « poussé par un fort désir de connaissances et sachant que là-bas, en Occident, elles connaissaient un bel épanouissement, Skovoroda se met en route, comptant sur ses seuls pieds » (p. 308) ! Le sens devient obscur dans certaines phrases alambiquées : « L’Europe toute entière devient observatrice de cette belle légende du XVIIIe siècle que nous reprenons ici, afin de trouver, suivant l’exemple de Jean Starobinski, la signification de l’histoire tracée souvent sous son influence » (p. 81).

Référence :
Tatiana Sirotchouk, La Vie intellectuelle et littéraire en Ukraine au siècle des Lumières, Paris, Honoré Champion, 2010, 496 p., ISBN : 978-2-745-32091-9, 96 €.

Référence papier

Vladislav Rjéoutski, « Tatiana Sirotchouk, La Vie intellectuelle et littéraire en Ukraine au siècle des Lumières », Annales historiques de la Révolution française, 370 | 2012, 265-268.

Référence électronique

Vladislav Rjéoutski, « Tatiana Sirotchouk, La Vie intellectuelle et littéraire en Ukraine au siècle des Lumières », Annales historiques de la Révolution française [En ligne], 370 | octobre-décembre 2012, mis en ligne le 28 janvier 2013, consulté le 14 avril 2013. URL : http://ahrf.revues.org/12564


 L'auteure : http://www.ukrainien-inalco.fr/index.html
Le livre, au prix "gastronomique" de 96 є + livraison, à la Boutique.

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