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mercredi 9 octobre 2013

Taras Chevtchenko

  Archives Mazepa Nonante Neuf











Cinq pièces traduites par Louis Aragon
 


Sans pleurs nos adieux. Après le repas,
Se peut-il que nous nous réunissions encore !
Et qu'à nouveau reprenne notre mélodie ?
Peut-être, oui... Mais où ? Laquelle ?
De quoi chantions-nous naguère ?
Ce n'était, de vrai, ni ici ni ainsi !
Et que la chanson soit d'autre chose !
Et ici furent des chansons tristes,
Et ici la vie n'était pas drôle,
Mais pourtant plus ou moins l'on a vécu ;
Nous avons tous ensemble partagé la peine,
Nous souvenons du pays clair,
Et du Diepr puissant au pied de la montagne,
Et de notre jeune chagrin,
Et de notre paradis coupable...
Que diable j'use
De papier, de plumes, de jours !
Et parfois de plus je pleure.
Et si pas plus ! Mais pas une
Chose ici de cause commune...
Je pleure pareil à la vieille
Qui, tout en buvant, larmoie
Qu'on vive orphelin dans ce monde.


* * *

A nouveau voici le temps mauvais !
Alors qu'il faisait si tranquille...
Nous nous apprêtions à défaire
Les chaînes des asservis, à les déferrer de leurs fers —
Mais bon, — à nouveau ruisselle le sang
Du paysan... Les bourreaux à couronne
Comme des chiens affamés pour un os
A nouveau se chamaillent...


* * *


Moi, ne nous vantons pas, je ne suis pas malade
Mais de l'œil je remarque quelque chose...
Quelque chose que le cœur attend. Cela fait mal
Et, comme un tout-petit qui a faim,
Pleure toujours, pleure et ne dort pas.
Qu'attends-tu donc, avec une terrible nostalgie ?
Des malheurs ?... N'attends rien de bon,
N'attends rien de la bonne volonté :
Le Tsar Nicolas l'a endormie.
Elle s'est assoupie et ne se relèvera plus
D'elle-même. Pour réveiller
La volonté malade, il faut réunir
La communauté, tremper la hache
Et bien affiler la cognée —
Et alors ce sera le moment d'y aller.
Ou plus rien ne la réveillera
Jusqu'au jugement dernier !
Et la noblesse la bercera toujours,
Qu'elle s'assoupisse à jamais.
Elle construira palais et châteaux
Pour l'amour d'un Tsar ivre,
Pour chanter en chœur le Byzantinisme
Et ce sera tout — ... Ainsi nous continuerons de vivre.


 
* * *


[A Marko Vovtchok]


Récemment par-delà l'Oural
J'allais rôdant et priant Dieu,
Que notre droit ne se perdît,
Que notre parler ne mourût —
Et l'ai touché ! Le Seigneur t'a
Envoyée à nous — comme un prophète à court terme
Et l'accusateur des brutaux
Et des méchants... O ma vie,
Toi ma sainte petite aurore,
Toi ma toute jeune force, —
Eclaire et réchauffe moi
D'un feu sacré ! Dans mon sein,
Réveille mon cœur malade.
A nouveau je me lèverai, me ranimerai
Et la douma* libre à l'air libre
De la tombe à la vie je l'évoquerai !
Et la douma libre... O héritage !
Notre prophète ! Fille de mon calvaire,
C'est ta douma que j'invoque.

* Douma (pluriel doumy), nom du chant historique ukrainien entendez ici la poésie. [N. de T.]
 
* * *

A Likéria

Tu es mon amour ! mon autre chéri !
Ils ne nous ont pas reconnus sous la croix,
Ils ne nous ont pas reconnus sans un pope,
Esclaves, asservis ou biens pis :
Comme des porcs, qui se sont endormis dans la mare,
Eux dans leur servitude. Mon autre,
Tu es mon amour ! Ne te signe pas,
Ne te prosterne pas, et ne prie pas,
Devant qui que ce soit ! Les hommes trébuchent.
Et le Sabaoth byzantin
Vous trompe ! Dieu ne trompe point
Il ne châtie et caresse pas à la fois.
Nous ne sommes pas ses esclaves nous sommes des êtres humains




 

 

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